Peuple kanak,.
Peuple au sommeil centenaire.
Imposé par la loi du plus fort.
Tu te réveilles dans la nuit...
Wanir Wélépane.
.
L’autre soir, j’assistais à la
présentation à une foule élégante, plutôt de gauche,
du film de Charles Belmont et d’Olivier Duhamel
« les Médiateurs du Pacifique », en présence de
Michel Rocard. Le film raconte ce que fut
la « Mission de conciliation »
chargée en mai 1988, par Michel Rocard alors premier
ministre et dirigée par le préfet Christian Blanc,
de « rétablir le dialogue » entre Canaques et
Caldoches. Quelque temps plus tôt, la
Nouvelle-Calédonie était au bord de la guerre civile
après l’attaque, par de jeunes indépendantistes
kanaks, de la gendarmerie de Fayaoué, sur l’île
d’Ouvéa, tuant à la hache trois gendarmes, avant de
se réfugier dans une grotte en prenant vingt-trois
personnes en otage. Le gouvernement de Jacques
Chirac, alors premier ministre de François
Mitterrand, ordonna l’assaut de la grotte : dix-neuf
Kanaks furent tués, les otages libérés.
Les
« missionnaires » exposent la façon dont ils furent
recrutés par le nouveau chef de gouvernement et les
contacts qu’ils eurent en Nouvelle-Calédonie, qui
avec les prêtres catholiques pour monseigneur
Guiberteau, qui avec les pasteurs protestants pour
le pasteur Jacques Stewart, qui avec les
francs-maçons pour le grand maître Roger Leray.
On assiste aux rencontres
entre le porte-parole du FLNKS Jean-Marie Tjibaou et
celui du RPCR Jacques Lafleur. Je me suis
étonnée qu’il n’y eût pas d’imam représentant les
musulmans dont la communauté, sur le Caillou, est
importante. Surprenant et n’apportant rien au
propos, par ailleurs passionnant, Michel Rocard
interprète son rôle, là où une simple interview eût
suffit et donné plus de force à la détermination du
premier ministre. Pas nécessaires non plus, ces gros
plans de téléphones et de mains les décrochant,
après des documents militaires ou les débats avec
Jean-Marie Tjibaou, Yeiwéné Yeiwéné, Jacques Lafleur
et les membres de la mission. A part ces petits
reproches, le film est intéressant car il donne à
voir la politique en action, ses hésitations, ses
limites, les peurs des uns et des autres. Une
remarque cependant : pourquoi ne pas dire ce qu’ont
été les résultats de ces accords de Matignon ni ce
que sont devenus les différents acteurs ? Pas un mot
sur l’assassinat par un Kanak,
Djubelly Wéa, du président du FLNKS, Jean-Marie
Tjibaou, et du numéro deux du mouvement
indépendantiste, Yeiwéné Yeiwéné, à Ouvéa, moins
d’un an après la signature des accords.
Ce film m’a rappelé le séjour que
j’ai fait en Nouvelle-Calédonie, dans le cadre du
« Temps des livres », en octobre 1994 ; soit six ans
après les accords. Tout de suite, j’ai été saisie
par la beauté de l’île, entourée de sa barrière de
corail, et le charme provincial de Nouméa. Nouméa où
l’on se sent bien chez soi : épiceries, pharmacies,
cinémas, magasins de luxe, coiffeurs, libraires,
monument aux morts, cafés, restaurants... tout est
français, dans une végétation luxuriante, une
chaleur d’éternel été, face à une mer d’un bleu de
carte postale. La couleur
locale est donnée par des femmes kanakes portant des
robes-mission aux teintes vives, ornées de dentelles
et par des groupes d’adolescents arborant des
coiffures rasta. De l’exotisme sans risque.
Lors d’une
réception offerte en l’honneur du « livre », je me
suis étonnée de ne voir que des Blancs. « Il n’y a
pas d’écrivains kanaks ? », demandai-je. On
me regarda comme si j’avais dit une obscénité et on
me conduisit dans un coin sombre du jardin où, tels
des enfants apeurés, se tenaient trois ou quatre
écrivains locaux à la peau foncée. Je les saluai,
dis quelques mots auxquels ils répondirent avec
gêne. Comme leur petit nombre
me surprenait, on me rétorqua que leur littérature
était surtout orale. Par la suite, j’ai
mesuré l’exclusion, le mépris même, dans lesquels
les Caldoches, les Z’oreilles (1), tenaient les
Kanaks. Je n’avais pas imaginé que cet état d’esprit
ait pu perdurer. Je pensais qu’après l’Indochine,
l’Algérie, l’indépendance des anciennes colonies
d’Afrique, mes compatriotes avaient enfin compris
que les « nhà quê », que les « bougnoules », les
« nègres » étaient des hommes et des femmes comme
eux. En allant dans les
écoles, les lycées, j’avais eu un moment d’espoir en
voyant une jeunesse gaie et vigoureuse partager le
savoir et les jeux, toutes origines ethniques
confondues, Noirs, Jaunes, Métis et Blancs,
descendants d’indigènes, de bagnards ou de colons
mêlés. « Dès leurs études terminées, ils retournent
vers leur milieu d’origine et ne se fréquentent
plus. » Atterrant, non ? Mais, comme
l’explique le Calédonien Louis-José Barbançon, dans
son livre « le Pays du non-dit, regards sur la
Nouvelle-Calédonie », à gauche on ne voit qu’un
monde avec de bons Kanaks agressés par les méchants
Caldoches, tandis qu’à droite on voit ces bons
Français des antipodes agressés par des méchants
Kanaks.
Que de chemin
à parcourir pour arriver au respect mutuel...
N’est-ce pas l’année prochaine, au terme des
accords, que les habitants de la Nouvelle-Calédonie
décideront de leur destin ? En attendant, Jacques
Lafleur a été réélu au premier tour.
(1) : Nom donné aux Français de
métropole effectuant un séjour de deux ou trois ans.