
ans
l'enseignement supérieur, la situation française est
d'une simplicité dramatique :
on ne peut réformer les
universités en dépit de leur déclin et on ne peut pas
changer les grandes écoles à cause de leur succès (apparent).
A défaut de pouvoir faire l'un ou l'autre, le
ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la
recherche, François Goulard, met à l'eau un nouveau
radeau de la Méduse, celui du rapprochement entre les
frères ennemis du monde académique (Le Monde du
14 juillet). La proposition est pleine de bonnes
intentions et part d'un constat juste, celui de la crise
de notre enseignement supérieur et de la recherche. Mais
je crois que la solution suggérée n'est pas viable : les
universités n'ont pas grand-chose à y gagner et les
grandes écoles, de leur point de vue, y ont tout à
perdre.
Elle n'est surtout pas à la hauteur de la crise qui
touche le système d'enseignement supérieur et de la
recherche en France, universités et grandes écoles
confondues, même si c'est pour des raisons
diamétralement opposées.
La réponse à cette crise n'est
pas dans un remake d'
"Aimons-nous Folleville",
mais au contraire
dans l'adaptation de nos structures à
la concurrence internationale.
Le mot d'ordre
prioritaire n'est pas rapprochement mais compétition,
compétition intrafrançaise d'abord, compétition
internationale ensuite puisque c'est désormais au niveau
mondial que sont fixés les standards.
Les grandes écoles sont incontestablement les lieux
de formation de l'élite française : après une, deux ou
trois années de sang et de larmes dans les prépas, les
heureux élus "choisissent" leur école en fonction de
leur classement dans les concours. Les quelques milliers
d'élus (si l'on y intègre les écoles de commerce)
fréquenteront des écoles où la formation est
généralement limitée, la recherche quasi inexistante,
les bibliothèques ridicules au regard des grandes
institutions internationales, le corps professoral
permanent très réduit, les doctorants ou post-docs peu
nombreux ou inconnus.
L'école reste un lieu de sélection et de classement
de l'élite française. Le contraste avec l'université
classique ouverte à tout vent est saisissant. La masse
d'un côté, la "classe" de l'autre.
Paradoxalement ces
grandes écoles, à l'exception principale des écoles de
commerce qui sont en compétition sur le marché mondial,
sont le plus souvent inconnues à l'étranger. Si vous
parlez de Polytechnique à un étranger, il pensera
d'abord à l'École polytechnique de Zurich ou de
Lausanne, pas à celle de Palaiseau.
Si l'on veut sortir le système universitaire français
du marasme présent, la solution n'est ni dans un
alignement des grandes écoles sur les universités, ni
dans un "rapprochement" qui ne constituerait qu'une
sorte de mariage de la carpe et du lapin.
La solution est dans la transformation des grandes
écoles en universités d'excellence capables de rivaliser
avec les meilleures institutions étrangères. Il ne
s'agit pas, bien entendu, de rabaisser les grandes
écoles à la situation médiocre que connaissent les
universités du fait de l'absence de sélection et d'un
système de gouvernance inadapté, mais bien au contraire
de les mettre sur le même pied que les meilleures
universités mondiales.
La chose est possible, car elles ont des atouts : le
prestige, des standards élevés, une pratique acceptée de
la sélection. Mais il faut sortir du système actuel qui
réserve l'accès à quelques happy few en éliminant
beaucoup d'excellents candidats. Tout se passe comme si
l'excellence était définie par une seule variable, la
rareté. Pourtant, l'excellence du MIT, de CalTech, de
Stanford ou de l'Imperial College à Londres n'est pas le
fruit d'un malthusianisme pathologique.
Les ingrédients du succès sont ailleurs : dans
l'ouverture de ces centres d'excellence qui ne sont pas
simplement des écoles d'application et qui combinent
recherche théorique et recherche appliquée ; dans
l'attraction des meilleurs professeurs à l'échelle
internationale ; dans l'association de l'enseignement et
de la recherche, notamment à travers des programmes
doctoraux et post-doctoraux ; dans la coopération
étroite entre universités et secteur privé, notamment en
matière de recherche appliquée.
Les grandes écoles à la française appartiennent à un
monde prestigieux mais révolu. En se transformant sur le
modèle des meilleures universités au niveau
international, nous pourrions faire d'une pierre deux
coups : utiliser le prestige et le statut des grandes
écoles pour les faire sortir de leur enfermement
nombriliste ; les utiliser comme point de référence et
de stimulation pour les universités normales auxquelles
le même statut et les mêmes avantages pourraient être
reconnus, pourvu qu'elles en aient les capacités et
acceptent les contraintes et les exigences d'un modèle
d'excellence.
Cette proposition n'est pas utopique et beaucoup des
éléments suggérés existent déjà par exemple (dans le
domaine des sciences sociales) à Science Po. Puisque les
grandes écoles ne remplissent plus qu'à la marge les
fonctions qui les ont légitimées (la formation des
élites de l'État), il est temps pour elles de se
repenser dans le seul cadre qui compte aujourd'hui,
l'international.
Ce faisant, elles se sauveront. Mais par ricochet et
grâce à la compétition, elles pourraient aussi sauver le
bateau ivre qu'est devenu, bien malgré lui, notre
système d'enseignement supérieur et de la recherche.
Yves Mény est président de l'Institut
universitaire européen de Florence.