L’impact de la coopération
scientifique sur les relations
entre nations : prévenir et résoudre les conflits
Paris, 24-26 février, 2000
1)
Présentation
2) Contributions à la conférence
1) Présentation
En
janvier 1998, l’Académie des sciences de New York
accueillait une conférence dont le thème était :
« Coopération scientifique, Conflits entre États : le rôle
des scientifiques dans l’atténuation de la discorde
internationale ». Cette conférence était le point
culminant d’un programme de deux ans soutenu par la Carnegie
Corporation de New York et la Commission Carnegie sur la
politique de la science présidée par l’ancien Président des
Etats-Unis, Jimmy Carter.
Les études de cas présentées et
discutées portaient essentiellement sur les relations, d’un
côté entre les États-Unis et le monde communiste
(ex-Union soviétique et Chine), de
l’autre entre Israël et le monde arabe (Egypte,
Palestine). L’intérêt et l’originalité de ces études étaient
de s’appuyer sur des expériences personnelles et des
interviews d’acteurs ayant directement participé à des
négociations. Le volume publié à partir de ces études tire
des conclusions qui reviennent à répondre à deux questions
principales : premièrement, y a-t-il quelque chose de
spécifique chez les scientifiques qui les qualifient en tant
que tels à intervenir comme intercesseurs dans des conflits
inter-étatiques ? Deuxièmement, les activités de recherche
en coopération menées entre deux ou plusieurs nations
contribuent-elles spécifiquement à préparer et à maintenir
une situation de paix ? [1]
Participant à cette conférence, Jean-Jacques Salomon, seul
représentant européen, avait été frappé par la
concentration des thèmes sur
l’expérience américaine des négociations en matière
d’armement stratégique, tout autant que sur l’expérience
israélienne des efforts de coopération scientifique
avec l’Égypte qui ont suivi les accords Sadate-Begin
(essentiellement dans le domaine agricole). Il lui a
semblé, en revanche, qu’on y
méconnaissait ou ignorait l’expérience proprement européenne
de la coopération scientifique, tout autant que le
rôle exercé par les sciences sociales durant la guerre
froide. Quand les États-Unis ou
Israël entrent dans des activités de coopération
scientifique avec d’anciens adversaires ou de nouveaux,
potentiels ou réels, c’est exclusivement en fonction de
leurs intérêts nationaux. Au mieux, le recours à
ces activités vise à rapprocher des points de vue
antagonistes, « à jeter un pont » de manière à favoriser la
normalisation des échanges et des rapports, et ce pont
apparaît comme un pilier parmi d’autres de leur politique de
défense et de sécurité nationales.
Dans tous les cas, il s’agit alors non pas d’effacer les
frontières nationales, mais de les renforcer.
Tel n’est pas le cas précisément de
l’Europe : on y retrouve, certes, toutes les
fonctions que les scientifiques peuvent exercer dans le
domaine des relations internationales d’une manière très
analogue à celle de leurs collègues américains — chercheurs-collègues,
conseillers, diplomates, stratèges, éventuellement
représentants de commerce, marchands de canons et espions
industriels, etc. — mais il y a une
dimension qu’on ne peut minimiser dans la vision et le
comportement même des scientifiques européens : le pont jeté
entre des intérêts naguère hostiles vise un objectif, une
ambition même, qui se situe au-delà des intérêts proprement
nationaux. Et c’est un fait que,
dans de nombreux cas, l’idée de la
construction de l’unité européenne a directement inspiré
l’initiative des scientifiques avant même l’intervention des
politiques et des diplomates. Par exemple, les pères
fondateurs du CERN à Genève et des premières organisations
spatiales, ESRO et ELDO, Pierre Auger et Edoardo Amaldi,
étaient proches des fondateurs du mouvement fédéraliste
européen et ils ont toujours considéré qu’en promouvant ces
entreprises ils agissaient comme des architectes de
l’unification politique
L’étude de cette spécificité européenne, de ses racines, de
sa portée et de ses limites, a suscité l’intérêt des
interlocuteurs américains de Jean-Jacques Salomon, et c’est
ainsi qu’il fut chargé d’organiser la
conférence qui s’est tenue à Paris, du
24 au 26 février 2000, sous les auspices du
George C. Marshall Institute et de l’Association Futuribles
International, avec le soutien du Ministère français des
Affaires étrangères, de la Division des affaires
scientifiques et de l’environnement de l’OTAN, de la
Fondation La Ferthé et de la Fondation Charles Léopold Meyer
pour le progrès de l’homme.
La préparation de cette conférence a suivi une approche
différente de celle de New York : avec la fin de la guerre
froide, les conflits possibles, donc les moyens et postures
stratégiques, ont manifestement changé, ce qui ne manque pas
d’affecter le contexte dans lequel la coopération
scientifique est appelée à se développer.
On est passé de la menace d’une guerre
totale, capable d’annihiler toute l’espèce humaine, à des
guerres localisées (Koweit, Kosovo) et à des menaces
d’actions terroristes où peuvent intervenir des systèmes
d’armements tout aussi « sophistiqués » que ceux du
nucléaire. Or, leur production et donc leur
prolifération sont assurément plus faciles que dans le cas
des bombes, des fusées et des systèmes de guidage propres
aux armements nucléaires. En outre, l’actualité des conflits
dans certaines régions et les tensions dans d’autres, au
sein et dans le pourtour de l’Europe, engageaient à se
demander si l’intervention des scientifiques en est
affectée, autrement dit dans quelle
mesure les méthodes et les valeurs dont ils se réclament
peuvent s’imposer — ou ne pas s’imposer — face aux formes
nouvelles de violence, étatique, religieuse, tribale et/ou
terroriste, qui se sont développées à la fin du siècle.
Il y avait quatre points à l’ordre du jour. Le premier,
traitant des lendemains de la Deuxième Guerre mondiale, a
mis l’accent sur les efforts menés par la Grande-Bretagne
d’abord, puis la France pour reconstruire l’institution et
la communauté scientifiques en Allemagne. Le second point a
porté sur les efforts d’unification politique : les
organisations régionales (OTAN, OCDE, CEE) et les actions de
coopération scientifiques (Airbus, Ariane, Eureka, etc.) ont
servi à la fois de stimulant, d’instrument et de modèle. Le
troisième point a traité d’un aspect particulier de la
guerre froide : on y a vu les sciences sociales intervenir
comme une arme dans les tensions idéologiques et finalement
rapprocher vaille que vaille les deux camps au nom de
l’efficacité des méthodes empiriques pratiquées à l’Ouest.
Enfin, le quatrième point, tirant les leçons que l’on peut
dresser sur le rôle politique de la coopération
scientifique, s’est tourné vers l’expérience actuelle et
future des conflits localisés, en retenant plus
particulièrement le drame récemment vécu par les pays de
l’ex-Yougoslavie, les relations conflictuelles entre la
Grèce et la Turquie et, pour terminer, les tensions dont
l’Afrique du Nord, l’Algérie en particulier, sont le
théâtre.
Les contributions à cette conférence ont été publiées en
anglais dans le numéro spécial de la revue Technology in
Society (août 2001, Elsevier Science Inc., Oxford-NewYork,)
sous le titre Scientists, War and Diplomacy: A European
Perspective. On y trouve une synthèse présentée à titre
personnel par Jean-Jacques Salomon, Scientists and
International Relations, qui insiste sur l’expérience
spécifiquement européenne d’hier, d’aujourd’hui et de
demain.
Cette spécificité l’a conduit à développer plus avant
certains thèmes dans le livre qu’il publie, en octobre 2001,
aux Editions Belin, Paris, "Le scientifique et le guerrier".
On y voit combien le regard des participants européens à la
conférence de Futuribles sur le rôle joué par les
scientifiques dans ce domaine peut différer de la vision des
Américains — un regard à la fois plus critique, moins
complaisant et démystificateur. Le livre montre aussi toute
l’ambivalence des fonctions
qu’exercent les scientifiques liés au complexe
militaro-industriel : hommes de guerre et hommes de
paix, ils peuvent être les deux à la fois comme inventeurs
de nouveaux systèmes d’armes et négociateurs travaillant
avec la même conviction à des accords de désarmement : ils
incarnent deux rôles, deux engagements, deux versions de
l’éthique du savoir très éloignée de ce que Max Weber avait
imaginé dans ses fameuses conférences sur Le savant et le
politique.
Nous rendons publiques ici, en français, toutes les
contributions à la conférence de Futuribles, sauf celle du
Dr Rezakovic, non publiée dans la revue américaine, que nous
reproduisons dans sa version originale anglaise. Nous
n’avons pas traduit la synthèse de Jean-Jacques Salomon
parue dans la revue américaine puisqu’elle est très
largement développée et approfondie dans son livre désormais
disponible aux Editions Belin, Le scientifique et le
guerrier.
Paris, le 17 décembre 2001
Futuribles International
[1]
Cerreño A.C. de et Keynan A. (sous la direction de). « Scientific
Cooperation, State Conflict: The Roles of Scientists in
Mitigating International Discord ». Annals of the New York
Academy of Sciences, vol. 866, 30 décembre 1998.
2)
Contributions à la conférence
Liste des contributions (à télécharger, documents Word)
Rudolf Botzian :
« La
coopération scientifique comme instrument de la politique
étrangère allemande »
Arnold Burgen : « La
reconstruction de la science allemande et la renaissance de
la Kaiser-Wilhelm-Gesellschaft après la guerre »
Fernando Carvalho Rodrigues : « Flux
de scientifiques d’un potentiel »
Abdelhamid Chorfa : « Les
conditions d’implication des scientifiques maghrébins pour
contribuer à l’instauration de la détente au Maghreb »
Pieter J.D. Drenth : « La
science et la détente »
Pierre Grémion : « Le
rôle des sciences sociales dans les relations Est-Ouest
durant la Guerre froide »
Régina Gusmao : « Programmes
de recherche de l’UE et développement de réseaux régionaux »
Hartmut Kaelble : « La
science et la réconciliation franco-allemande après 1945 »
Alexander King : « Les
préoccupations scientifiques dans un environnement
économique »
André Lebeau : « Organisations
scientifiques et construction de l’unité européenne »
William A. Nierenberg : « L’OTAN
et la science »
Dzenana E. Rezakovic : « The
War in the Former Yugoslavia : The causes, solutions and
future perspective of the region »
Joseph Rovan : « Bâtir
un avenir commun »
Geneviève Schméder : « Les
scientifiques dans les anciens et les nouveaux conflits »
Eugene B. Skolnikoff : « Les
enjeux politiques de la coopération scientifique »
Nur Yalman : « Science
et scientifiques dans les conflits internationaux : la
malédiction de Prométhée »
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