http://www.futuribles.com/TablesRondes/CR20050526_petrole.pdf
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75007 Paris
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France La vie après le pétrole
COMPTE
RENDU Tous nos modèles de développement reposent sur une exploitation intensive de ressources fossiles, le pétrole en particulier mais aussi le gaz naturel, le charbon et l’uranium. Or, les réserves sont limitées tandis que la consommation ne cesse d’augmenter. L’on a beau ricaner sur le rapport du Club de Rome de 1972 (dont le titre, en français, Halte à la croissance, était trompeur), le fait est là. Et l’envolée actuelle du prix du pétrole ne fait sans doute que précéder un ou plusieurs chocs pétroliers majeurs qui, sauf récession économique mondiale, se produiront inéluctablement d’ici 2015. Pourquoi 2015 ? Parce que c’est sans doute à cet horizon fort rapproché qu’interviendra le « pic de production » avant que celle-ci ne commence à décroître (déplétion). Sur quoi repose une telle prévision ? Quel crédit peut-on lui accorder ? Et s’il s’avérait en effet qu’une telle échéance nous guettait, que pourrions-nous alors faire à mesure que les énergies fossiles commenceront à diminuer et leur prix à flamber ? C’est à toutes ces questions qu’a tenté de répondre Jean-Luc Wingert lors de cette table ronde. En guise d’introduction, Hugues de Jouvenel a simplement rappelé le contexte international dans lequel évolue la donne pétrolière : la guerre en Irak, la flambée des prix, la reconnaissance d’un pic de production imminent. Ce contexte ravive une controverse ancienne entre les économistes, pour qui les problèmes d’aujourd’hui sont une simple affaire de prix, et les géologues qui considèrent la fin des ressources pétrolières comme la source des tensions actuelles. Jean-Luc Wingert a présenté dans un premier temps le pétrole comme une source d’énergie incontournable en raison de son abondance, de sa forme liquide très pratique et du fait que le pétrole puisse quasiment se transformer en argent… Quant aux usages du pétrole, 50 % concernent le transport tandis que l’autre moitié sert au chauffage, au fioul, à l’électricité, la pétrochimie ou encore l’agriculture. Poursuivant son exposé, l’intervenant s’est ensuite penché sur les pics de production de pétrole et la notion de déplétion. Selon lui, la production pétrolière se divise en deux parties sensiblement égales : la première d’exploitation « facile » et la seconde d’exploitation difficile. Le phénomène de déplétion est simplement la décroissance progressive de la production, telle qu’on l’observe pour un gisement par exemple. Au départ, selon Jean-Luc Wingert, l’exploitation du pétrole se fait préférentiellement avec les gisements les plus faciles d’accès et les plus volumineux. Cependant, les gisements les plus productifs se comptent sur les doigts de la main. Le classement des gisements en fonction de leur débit est là pour le rappeler : 4 gisements au monde ont un débit supérieur à 1 million de barils par jour, 10 gisements ont un débit inférieur à 500 000 barils/jour, 12 gisements ont un débit supérieur à 300 000 barils/jour et enfin 80 gisements produisent plus de 100 000 barils/jour. Dans un deuxième temps, l’ingénieur a abordé la question des réserves mondiales selon la méthode de M. Hubbert. Il a souligné que la découverte de nouveaux gisements pétroliers se tarit en raison des limites physiques. 64 % des réserves prouvées de pétrole se trouvent au Moyen-Orient mais, selon notre intervenant, ces réserves sont surestimées : en fait, un tiers des réserves officielles de l’OPEP n’existent pas, comme le confirme l’observation des données techniques confidentielles. Depuis les années 1980, il y a de moins en moins de nouvelles découvertes de gisements. Selon l’ingénieur, l’essentiel a été découvert et l’on ne trouve aujourd’hui essentiellement que de petits gisements. Le troisième point de son exposé a porté sur les définitions de trois catégories de pétrole : le pétrole conventionnel (celui qui peut être produit dans les conditions techniques du moment), le pétrole subconventionnel (le pétrole offshore, polaire, condensats) et le pétrole non conventionnel (huiles extra-lourdes, sables asphaltiques, schistes bitumeux). Le quatrième point de l’intervention a tenté de répondre à la question d’un choc pétrolier à venir en raison de la raréfaction du pétrole. Plusieurs dates d’un pic mondial de production (suivi d’une déplétion) sont annoncées par les experts : 2025 (selon le groupe Total), 2007-2020 (selon l’association des géologues de l’Association for the Study of Peak Oil), 2060 (pour les plus optimistes) ou encore 2014-2018 (selon une étude américaine). Selon Jean-Luc Wingert, l’estimation la plus fiable indique un pic de production mondiale de pétrole en 2015, elle émane de Jean Laherrère. Selon notre expert, nous sommes entrés aujourd’hui dans une zone de turbulences qui précède ce pic de production et nous vivons actuellement un choc progressif. L’intervenant a ensuite dressé sept scénarios possibles pour l’avenir du pétrole dans le monde : « un choc progressif », « un choc brutal », « une transition négociée » (prix en partie fixés hors marchés), « le plateau ondulé » (chaotique en fonction des événements), « des économies d’énergie », « le protocole de déplétion » (situation volontaire de rationnement), « l’appropriation par la force ».
Le cinquième point de son intervention a tenté de répondre à la question « Que va-t-il se passer après l’ère du pétrole ? » Selon lui, l’inévitable choc pétrolier va nous conduire à une nouvelle révolution énergétique. Trois voies de sortie de la crise du système énergétique mondial sont possibles (inspirées du modèle de la crise énergétique médiévale) : l’amélioration des filières existantes (efficacité énergétique), le prélèvement de ressources à l’extérieur et l’invention de nouvelles filières (solaire, hydraulique, biomasse, nucléaire, hydrogène, thalasso-énergies). En se basant donc sur ces trois voies de sortie de crise, il est possible d’imaginer l’ère de l’après-pétrole. Enfin, dans un dernier point, l’invité s’est penché sur le transport dans la mesure où celui-ci est la source principale de consommation pétrolière. De nouveaux carburants sont mis au point pour tenter de réduire l’utilisation du pétrole dans la propulsion des véhicules (biocarburants, hydrogène, voiture électrique, voiture hybride, moteur thermique classique, air comprimé). L’auteur a notamment évoqué la nécessité d’une importante sobriété énergétique comme solution première à la crise des transports à venir provoquée par la diminution des réserves de pétrole. Pour conclure, Jean-Luc Wingert a indiqué que nous allions vivre un renversement de perspective radical au niveau mondial, passant d’une énergie disponible de manière croissante à une disponibilité décroissante. Perspective longuement développée dans son ouvrage. EXTRAIT DES DÉBATS L’hydrogène comme source d’énergie alternative au pétrole a animé le début des débats. Un premier intervenant a fait remarquer que les États-Unis misent aujourd’hui beaucoup sur cette solution, notamment dans les transports collectifs, pour réduire la consommation de pétrole. Des stations d’hydrogène ont même été installées en Californie ou encore en Allemagne pour alimenter les véhicules fonctionnant à l’hydrogène. Un second intervenant a expliqué l’exact opposé en précisant que l’hydrogène est un mythe énergétique dans la mesure où ce n’est pas une source d’énergie puisque, n’existant pas dans la nature, il faut en effet le produire, ce n’est qu’un vecteur de transport de l’énergie. Le problème du coût énergétique du transport et de son évolution a ensuite été évoqué par plusieurs interlocuteurs. Selon Jean-Luc Wingert, l’expansion de la mondialisation peut être remise en question : les délocalisations en Chine, par exemple, augmentent les consommations énergétiques dues au transport des marchandises. Quelles seront les conséquences du pic mondial de production tant redouté ? À cette question, l’orateur invité a estimé qu’en l’absence d’anticipation à la hauteur des enjeux, une baisse de la production pétrolière aurait des conséquences plus directes dans les pays émergents que dans les pays développés. En effet, les pays émergents investissent généralement peu dans les énergies renouvelables, plus chères que les produits pétroliers, en raison de leurs difficultés économiques. Sur quels leviers d’action pouvons-nous agir pour anticiper l’épuisement des réserves pétrolières consécutif au pic de production mondiale ? Où sont les marges de manœuvre ? Y a-t-il un agenda d’action ? À ces questions posées par Hugues de Jouvenel, délégué général de l’association Futuribles International, l’intervenant a répondu qu’une partie du problème se trouve dans le délai de mise en œuvre de solutions par rapport à la vitesse de décroissance du pétrole. Anticiper la chute des réserves est un défi intéressant posé à la société. La première action passe par l’information et la nécessité de se poser les bonnes questions dès aujourd’hui. Pour Jean-Luc Wingert, la transition énergétique risquant d’être très rapide, il y a une obligation urgente d’anticipation…
Julien Nessi Table ronde Futuribles du 26 mai 2005 2 |
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